Comment évaluer les profils candidats de la manière la plus fiable possible, tout en leur assurant une expérience positive de recrutement ?

Nous avons rencontré Marion Chevallier, Responsable du secteur recrutement aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) qui a fait de cette question l’une de ses principales thématiques de recherche. Interview.

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Bonjour Marion Chevallier. Pouvez-vous nous présenter en quelques mots le contexte du recrutement aux HUG ?

M. C. Les HUG, c’est aujourd’hui 13 000 professionnels, tous métiers confondus. Cela vous donne une idée du nombre d’opportunités d’évolutions que cela peut représenter. L’équipe de recrutement est dimensionnée en conséquence : elle est composée de six personnes, dont quatre spécialistes en recrutement. Nous publions environ 1000 annonces de recrutement par an, ce qui nous oblige à fonctionner comme une agence de recrutement interne.

Comment fonctionne cette « agence de recrutement interne » ?

M. C. En tant que spécialistes du recrutement, notre rôle est de soutenir nos collègues RH opérationnels et les managers dans différentes étapes du processus de recrutement, que ce soit pour la rédaction d'annonces attractives, la préparation et la conduite des entretiens ou la mise en place de simulations en recrutement via des situations concrètes de travail. Je fais le lien avec le fonctionnement d’une agence, car dans les faits nous sommes sollicités en interne sur ce que nous appelons entre nous des « mandats » de recrutement. Cela nous amène à intervenir sur une grande diversité de métiers, des soins infirmiers aux postes informatiques, en passant par des fonctions RH et juridiques. Nous pouvons aussi être missionnés dans le cadre de campagnes de recrutement à large échelle au sein de l’institution. Je pense, par exemple, aux jeunes diplômés en soins infirmiers. La Direction des soins fait appel à nous pour coordonner les recrutements, puis réaliser l'orientation des profils retenus au sein des différents services. Cette diversité d’interventions fait toute la richesse et la complexité de notre mission.

Comment recrute-t-on aux HUG ? Avez-vous des processus spécifiques du fait de votre environnement hospitalo-universitaire ?

M. C. Dans un hôpital universitaire, les carrières sont aussi des carrières académiques et de recherche. Côté RH, notre responsabilité n’est pas d'évaluer les connaissances dures, les hard skills de chaque spécialité. En revanche, nous allons travailler étroitement avec les managers pour comprendre leurs besoins spécifiques. Nous les aidons ensuite à formuler des questions aux candidats qui amènent des éléments de réponse suffisamment précis pour prendre de meilleures décisions de recrutement. Il serait dommage de découvrir une fois la personne en poste qu’il lui manque telle ou telle compétence. Cela vaut pour les hard skills, mais aussi pour les compétences plus transversales que sont les soft skills.

L’adéquation des candidats à une certaine « culture d’institution » entre-t-elle en ligne de compte dans le processus de recrutement ?

M. C. Nous avons bien sûr aux HUG un socle culturel commun, et il entre tout autant en ligne de compte dans nos décisions RH que les spécificités dans les services. Chaque domaine de soin, chaque métier, chaque unité, chaque service a développé ses propres spécificités culturelles, liées au domaine de soins, dont nous devons tenir compte dans les recrutements. Notre rôle, en tant qu’agence de recrutement interne, c'est de bien comprendre et identifier les spécificités, de les décrypter et d’intégrer leurs composantes dans le processus décisionnel.

J’ai en tête un exemple très parlant : la notion d’esprit d’équipe, ou de travail d’équipe. D’un métier à un autre, d’un service à un autre, les managers peuvent utiliser la même expression (« esprit d’équipe »), mais elle recouvrira des réalités différentes. Pour certains, cela peut sous-entendre de la « collaboration », de la « co-construction », de « l’autonomie », de « la prise d’initiative » ou à l’inverse le respect absolu du périmètre fonctionnel de chacun. Tout n'est donc pas égal.

C'est là où je trouve intéressant de toujours aller plus loin dans l’étude des sujets RH, et notamment dans le perfectionnement des processus de recrutement. Plus nous serons précis dans la rédaction des briefs, dans la description des contextes dans lesquels s’inscrit le recrutement, plus nous serons en mesure d’évaluer telle compétence ou tel comportement attendu de manière pertinente. Et plus les questions aux candidats seront précises, plus les personnes parviendront à se figurer ce que nous attendons d’elles une fois en poste.

Cela facilite donc une évaluation réciproque ?

M. C. Oui, cette réciprocité est importante. Le processus de recrutement doit permettre aux deux parties (à l’institution et au candidat) d’évaluer leur capacité commune de faire « un bout de chemin ensemble », comme j’aime à le dire. Par exemple lorsque nous recrutons des managers nous souhaitons être alignés sur les compétences et comportements attendus en management. Pour cela nous nous basons sur un référentiel de leadership qui a été co-construit et développé au sein de l’institution.

Vous parliez précédemment des hard skills et des soft skills, quel est votre regard sur la place qu’occupent ces différentes compétences dans la prise de décision ?

M. C. Dans le cadre de notre environnement hospitalo-universitaire, les hard skills font souvent partie du socle des attendus. En tant qu’hôpital universitaire, nous exigeons des niveaux de qualifications reconnus et pas uniquement pour les médecins. Par exemple, une AFP pour les Aides en soins et accompagnement ou un Bachelor HES pour le personnel infirmier. Ce diplôme est nécessaire pour pouvoir exercer le métier, mais dans un monde qui bouge rapidement, des soft skills comme la capacité à se questionner, la proactivité, le sens du service public sont des éléments tout aussi importants à évaluer.

Cependant j’irais plus loin. Au-delà des compétences, je pense que l’élément central d’un recrutement est la motivation. Et ce n’est pas si simple à évaluer en entretien. Il y a toujours une certaine réserve de la part des candidats, beaucoup nous disent ce qu’ils imaginent ce que nous, recruteurs, avons envie d’entendre. C’est toujours difficile, mais important, de leur rappeler qu’à certaines questions très personnelles il n’y a pas nécessairement de bonne ou de mauvaise réponse. Il y a juste la leur. Notre objectif commun est d’apprendre à nous connaître, tels que nous sommes réellement, pour évaluer comme je le disais tout à l’heure notre capacité à faire un bout de chemin ensemble. Si d’un côté comme de l’autre, nous ne sommes pas sincères avec nos attentes dans la durée, ou avec notre motivation, le risque est de générer très rapidement de la frustration.

Quels sont vos outils ou vos méthodes pour évaluer les éléments d’un profil ?

M. C. Pour le moment, notre outil principal est l’entretien semi-structuré en binôme. La première partie de l’entretien est relativement libre, elle nous sert à comprendre la personne, qui elle est, ce qu'elle recherche, pourquoi elle a postulé à ce poste, son adéquation en termes de motivations. Puis nous enchainons sur une partie plus structurée où nous posons les questions travaillées en amont avec le manager pour évaluer les compétences et les comportements des candidats au regard de nos attendus pour le poste et pour l’institution.

À quel moment de l’entretien faites-vous l’évaluation des réponses du candidat ?

M. C. Dans le cas des entretiens, je procède à l’évaluation après coup. Je trouve qu’il est difficile de poser des questions, d’écouter, de regarder le candidat, de prendre des notes sur ses verbatims et en plus de me faire un avis objectif sur les réponses données. Donc en général, je déroule l'entretien, puis j’analyse les éléments collectés dans un second temps. Cela me permet d’être pleinement centrée vers le candidat lors de l’entretien.

Vous testez également d’autres outils ?

M. C. Nous proposons de plus en plus aux candidats de réaliser des études de cas ou de faire des mises en situation, selon les typologies de postes à pourvoir. Dans le cas de recrutements par simulation, nous mettons les personnes dans une situation la plus réaliste possible pour évaluer leurs comportements et leurs compétences sur le terrain. Cela vient du constat que certains professionnels, dans certains métiers, ont du mal à expliquer ce qu’ils font et comment ils le font. En revanche, ils peuvent très bien le faire en situation réelle. Faire et expliquer ce que l’on fait nécessite des compétences différentes. Dans le cas des recrutements par simulations, cela nous permet d’observer les réflexes et les mécanismes mis en place par les personnes pour parvenir à l’objectif.

La mise en situation est aussi bénéfique pour le candidat parce qu'il arrive à se projeter dans les futures conditions d’exercice de son métier au sein de l’institution. Cela va lui permettre de tester sa motivation à nous rejoindre et à prendre lui aussi une décision éclairée.

Au bout du compte, sur quoi basez-vous votre décision finale ?

M. C. Nous la prenons sur la base de l’évaluation des profils au regard de cinq critères que nous avons choisi de prioriser pour chaque processus de recrutement. Ce processus factuel évite le risque de se laisser entrainer par notre ressenti, un élément qui nous a plu en particulier ou un contact qui se serait plus ou moins bien passé. Après, pourquoi cinq critères ? Nous nous sommes rendu compte qu’il était difficile de prendre une décision suffisamment éclairée sur un plus grand nombre de critères. Et si aucun profil ne répond entièrement à nos attendus, nous ouvrons la discussion sur les éléments à prioriser : lesquels sont les plus faciles à acquérir une fois en poste ? De quelles compétences complémentaires l’équipe aurait-elle besoin ? C’est là où l’expression « talent acquisition » prend tout son sens.

Pour conclure, quelles bonnes pratiques aimeriez-vous nous partager ?

M. C. La première est de toujours faire des entretiens à « quatre yeux » pour éviter les biais cognitifs personnels. Le fait d’être au moins deux oblige à confronter nos points de vue autour d’une même situation.

La deuxième bonne pratique que j’ai envie de partager est de ne jamais présupposer la réponse d’un candidat. Il faut se méfier des stéréotypes que nous avons sur telle ou telle génération, tel ou tel profil de candidat, etc. C’est d’ailleurs une notion sur laquelle j’interviens encore régulièrement en interne. On s’imagine que si la personne a 25 ans ou si elle en a 50, elle va avoir telles ou telles attentes, telle ou telle vision du travail, tel ou tel comportement. Mais il n’y a rien de moins linéaire que des motivations ou des aspirations par exemple. Donc ne rien présupposer, avoir la curiosité et le professionnalisme de s’interroger sur la motivation individuelle de chaque candidat, et en cas de doute : toujours poser la question.

Votre troisième bonne pratique ?

M. C. Chercher à être toujours, toujours, toujours, le plus précis possible : au moment de la rédaction du brief avec les managers, lors de la préparation de l’entretien, lors de la formulation des questions à poser aux candidats, dans l’analyse de leurs réponses… Pour moi, la précision est la clé du recrutement. C’est d’ailleurs l’un des enseignements que je retiens de ma formation en analyse comportementale avec Arcom Swiss : savoir faire la différence entre un « fat word » et un « lean word ». Si je reprends mon exemple de tout à l’heure, l’expression « esprit d’équipe » est un « fat word ». Comme il englobe différentes réalités, son utilisation en tant que critère n’est pas pertinente. Il faut alors avoir le réflexe de passer par une question qui pousse à la clarification du propos : « L’esprit d’équipe ? Lequel ? » On obtient alors des « Lean words », à savoir des mots ou des expressions sans équivoque.

Qu’aimeriez-vous continuer à développer dans votre pratique du recrutement ?

M. C. Je continue de travailler sur une problématique qui m’est chère et que je formulerais ainsi : « comment évaluer de la manière la plus fiable possible les profils candidats, tout en leur assurant une expérience positive de recrutement ? »

Nous avons un véritable enjeu, en tant que recruteurs en lien avec les managers, de sortir du copier-coller d’expérience, ou d’expériences similaires, tout simplement parce que « c’est plus rassurant d’avoir quelqu’un qui a déjà occupé le poste ailleurs ». Je suis convaincue que nous avons tous à gagner en donnant leur chance à des profils dont les parcours sont peut-être moins linéaires, mais dont l’ensemble des compétences acquises conviendrait tout autant. Cela nécessite bien entendu d’aller plus en profondeur dans la compréhension des compétences et des comportements attendus pour le poste concerné, mais aussi dans l’évaluation des compétences et des comportements des candidats.

Cette prise en considération de la spécificité de chaque profil améliore l’expérience candidat et illustre le soin qu’a l’institution, ou l’employeur, de s’outiller pour offrir des parcours professionnels de qualité dans la durée.

Les candidats expriment également, parmi leurs attentes, l’envie d'apprendre sur eux-mêmes au cours du processus de recrutement. Il me semble que la mise en place d’un processus qualitatif de bout en bout mènerait tout le monde vers le haut. En travaillant côté RH sur la précision des questions posées, les candidats sont amenés à produire des éléments de réponses « nouveaux », plus riches, qui sortent des réponses convenues et mettent en valeur les compétences des candidats. Et en leur faisant un feed-back factuel, y compris si elles ne sont pas retenues, les personnes ont les moyens de progresser dans leur démarche candidat.

Et comme l’une des contraintes majeures dans le recrutement, c’est le temps, nous sommes en train de réfléchir à la constitution d’une bibliothèque de questions par compétence, et par niveau attendu dans cette compétence. Pour être très concrète, je prends par exemple un poste de chef de projet à pourvoir. Quelle que soit sa coloration, nous allons rechercher globalement un socle similaire de compétences. L’idée serait de venir puiser dans cette bibliothèque des questions ayant déjà produit des effets positifs sur l’évaluation des profils par rapport au niveau de comportement attendu. Nous gagnerions à la fois en précision et en réactivité dans les processus de recrutement.

Merci beaucoup, Marion Chevallier, pour cet échange.

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